
Je suis allé voir le vigneron Richard Leroy pour la première fois en 2008 chez lui à Rablay-sur-Layon, en Anjou, alors qu’il faisait encore son vin dans son garage et qu’il cultivait ses vignes de chenin sur 2,7 hectares suplombant le Layon. Il n’était pas encore le héros de la BD d’Étienne Davodeau Les Ignorants – Récit d’une imitation croisée.
Il n’était pas non plus encore la “star” mondiale dont les vins sont tant recherchés. Il conduisait ses vignes en biodynamie, sur des sols peu profonds. À son catalogue : deux cuvées parcellaires, l’une à partir de vignes sur sous-sol volcanique pour les Noëls de Montbenault et l’autre à partir de vignes sur schistes pour le Clos des Rouliers.
J’étais à l’époque auditeur interne du groupe JCDecaux et j’étais de plus en plus absorbé par ma passion du vin, notamment lorsque mon esprit vagabondait dans les avions qui me menaient dans les différentes filiales du groupe. J’avais entendu parler de ce vigneron hors norme qui faisait des merveilles avec ses chenins et je me décidai de le solliciter pour qu’il m’aiguille dans mes projets de reconversion professionnelle.
Pousser la porte de la maison de Richard Leroy ce matin-là me plongea dans le fabuleux monde des terroirs. Un terroir rassemble un sous-sol, un sol, un climat, un plant de vigne ET un homme inscrit dans une histoire collective. L’homme est au centre, l’homme observe la nature puis en tire par son intelligence et sa sensibilité le meilleur produit possible, reflet d’un terroir physique. Le terroir était à bonne école, là.
Le parcours de Richard Leroy en quelques mots
En me faisant déguster ses vins, Richard me raconta son parcours. Jeune, à Paris, dans des caves comme celle de Lavinia, il passait beaucoup de temps à “goûter” du vin avec des dégustateurs qui deviendraient des grands noms de la dégustation française. Il s’entrainait à découvrir à l’aveugle les vins dégustés. Rétrospectivement, il voit ces dégustations comme le concours du plus gros kiki ! Par exemple, Richard avait découvert à l’aveugle le Léoville Poyferré 1986 seulement parce qu’il sentait le fût neuf du nouveau tonnelier du château. Un jour, une belle femme néophyte accompagnait un des compétiteur demanda à Richard : « est-ce que vous l’avez aimé ce vin? ». Et lui de balbutier et de ne pas savoir quoi répondre.
Il commence alors à s’intéresser au plaisir dans la dégustation. Après tout, on ne trouve dans un vin que ce que l’on cherche. Il découvre les terroirs bourguignons, par exemple à Chassage-Montrachet où lorsqu’il pousse la porte de la cave du domaine Delagrange, il déguste différentes micro-cuvées issues d’autant de différents “climats”, sans avoir jamais entendu parler de cette notion. Il comprend certains mécanismes indispensables à la naissance d’un grand vin, comme “l’autolyse”.
Petit à petit, son chemin va le mener vers le chenin, le “plus grand cépage blanc”, en Anjou, dans le Layon,. Il va finir par tomber amoureux d’une terre aride, plutôt bon marché car peu fertile et pentue, donc difficile à cultiver. Il perçoit son potentiel.
Le vin naît à la vigne
Richard Leroy va apprendre à faire de ses vignes un jardin. “Il leur parle comme d’autres parlent à leur chien” ! Il connait chaque pied. Un des plus grands compliments reçu d’un ouvrier viticoles d’un autre domaine : « tes vignes sont bien tenues, ce sont les plus belles du coin ». D’autres ouvriers viticoles se moquaient de lui lorsqu’à ses débuts, c’était le seul à piocher ses terroirs. Et cet ouvrier viticole de continuer : « D’ailleurs, ils piochaient aussi les anciens ». Richard est fier de faire son travail avec honnêteté. Il accomplit avec soin chaque étape : taille, ébourgeonnage, désherbage, lutte contre les maladies, vendange en vert (suppression de quelques baies sur pied pour favoriser la maturation des autres) si besoin.
Un orfèvre à la cave
On retrouve cette honnêteté en cave : il n’utilise quasiment aucun intrant, à part les raisins, juste quelques milligrammes de soufre pour certains millésimes. Il ne supporte pas de déguster des vins lorsque le soufre dénature les arômes du vin et surtout pose un arrêt brutal à la dégustation en fin de bouche. Sans parler du mal de tête qui peut s’en suivre… Voir mon article sur les vins sans soufre.
L’essentiel en cave pour lui est :
- de travailler des raisins remarquables, de les presser doucement,
- d’acheter les bons fûts (sans les “mécher” au soufre) pour élever les vins sans trop les marquer par les arômes de grillé,
- de choisir les bons moments pour la mise en bouteille,
- de maîtriser l’art de la filtration pour filtrer au minimum.
Pour Richard, un bon vin naturel est un jus de raison fermenté qui évolue en fût, en bouteille puis dans le verre. L’oxydation ne lui fait pas peur. Il réussit le tour de force de faire des grands vins de garde avec quasiment que des raisins. S’il connaît chaque pied de vigne, il connaît aussi chacun de ses fûts. Il déguste très régulièrement ses “enfants” de l’année, il suit les processus fermentaires avec attention, essaie de rester confiant avec les phénomènes inattendus. Laisser le temps au temps va souvent apporter les réponses aux déviances.
La dégustation du Clos des Rouliers et des Noëls de Montbenault
Ce jour-là, pendant la dégustation, Richard Leroy s’intéressait à ce que mes sens ressentaient et jouait un rôle d’aiguillon pour l’amateur que j’étais dans ce monde du vin où les sens n’ont pas toujours le dernier mot. Les campagnes marketing massives de multinationales cherchent à influencer notre goût tandis que des gourous nous incitent à penser que tel ou tel domaine, c’est le must. Alors que nous conversions ce matin-là, Richard me plongeait généreusement dans un monde profondément humain où le plaisir naissait de l’éveil des sens.
Sept ans après, en 2015, lorsque je me représente avec mes amis devant la maison de Richard Leroy, je suis intimidé. Cette fois-ci, je viens en tant que professionnel, le restaurateur, chef et sommelier nantais que je suis. Un professionnel qui, pourtant, a la conscience d’avoir encore beaucoup à apprendre… Les fûts sont maintenant logés dans un chai où s’épanouissent les deux cuvées du domaine : le Clos des Rouliers et les Noëls de Montbenault. La discussion s’engage progressivement au fur et à mesure de la dégustation. Nous dégustons sur fût puis le vigneron nous débouche des bouteilles de plus en plus âgées. Si je devais résumer les vins en deux mots, je les qualifierai de purs et profonds. Le Clos des rouliers est plus large, plus rond en bouche que les Noëls de Montbenault qui sont “tranchants”. Les vins prennent corps au fur et à mesure de leur vieillissement en bouteille. Leur palette aromatique se révèle alors. Le Chenin révèle ainsi toute sa splendeur. Nous restons quelques heures à déguster, les vins d’ici et d’ailleurs. Il est de tradition que les personnes qui participent aux dégustations chez Richard amènent aussi une bouteille à déguster à l’aveugle. C’est ainsi qu’il arrive fréquemment qu’on s’aperçoive que certains “grands crus”, valant plusieurs centaines d’euros, n’en valent pas piquette lors d’une dégustation à l’aveugle.
Comment servir les vins du domaine Richard Leroy
Attendre 3-4 ans les vins du domaine Richard Leroy est un minimum. J’ai eu la chance de proposer ces vins à la carte de mon restaurant-bar à vin nantais, le Bé2M, avant que je ne le vende. À partir du moment où j’ai pu acheter quelques bouteilles au domaine, j’ai attendu 3 ans avant de proposer les premiers vins à ma carte. Mes employés me prenaient pour un fou ! Je laissais alors les références à la carte seulement quelques semaines visibles. Après, les amateurs savaient qu’il y avait du vin de Richard Leroy dans mon établissement. Et je pouvais ainsi leur mettre sur table une (et une seule !) bouteille sur demande. Je jouais aussi mon rôle de passeur de vin. Je choisissais le millésime qui se goûtait bien à ce moment-là. Je pouvais préparer la bouteille comme il se devait, éventuellement la “shaker” s’il y avait trop de gaz carbonique, le décanter s’il y avait des arômes désagréables de “réduction” dus au manque d’oxygène et à la présences de lies, ces résidus de levures, au fond de la bouteille.
Je proposais le vin de Richard dans mon restaurant que si je percevais d’authentiques intentions dans le désir du client. Si le client voulait juste frimer devant ses invités en buvant du Richard Leroy, alors je n’avais plus de vins en cave malheureusement… Un jour, en dégustation au domaine, il y avait un sommelier d’un palace parisien. Bien sûr, à la fin de la dégustation, il voulait acheter du vin. Richard lui répondit : “je n’ai rien à vendre”. Il avait senti qu’il n’y aurait pas de passeur de vin dans ce palace.
La magie du vin
La pureté des vins du domaine Richard Leroy provient de la grande exigence du vinificateur qui s’impose à n’utiliser que le raisin pour faire le vin. La profondeur du vin découle de l’utilisation d’un raisin qui, par la sueur combinée à l’intelligence de l’homme, représente la quintessence d’un terroir. Le vin éveille les sens dans la bouche en crescendo. Une fois le vin avalé, la rémanence du vin évoque un point d’orgue de plaisir.
Je tire mon chapeau à ce vigneron hors norme. Il a joué un rôle essentiel dans mon apprentissage de la dégustation et du monde du vin. Partager son vin, c’est rentrer dans un festin où la camaraderie et le plaisir l’emportent sur toute vanité.
Un très bel article qui donne envie d’approfondir sa connaissance des vins. J’avoue que je ne suis pas une grande connaisseuse… En tout cas, je suis vraiment impressionnée de savoir que des spécialistes arrivent à reconnaître des vins, très précisément et à l’aveugle ! Je suis très, très loin de ce niveau d’expertise ! Si je suis de passage dans la région, j’irais sûrement rendre visite à Richard Leroy. Peut-être qu’un jour, je deviendrais aussi une « passeuse de vin », qui sait ?