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Comment faire de sa table un art du repas à la française ?
Mon premier podcast m’amène à Limoges où j’ai eu le plaisir d’interviewer Célia Boutin du musée Adrien Dubouché à l’occasion de l’exposition temporaire : A Table ! Le repas tout un art. Cette exposition, disponible jusqu’au 31 mai 2022, nous présente l’art français de la table à l’occasion du 10ème anniversaire du classement au patrimoine culturel immatériel mondial de l’Unesco du Repas gastronomique des français.
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Texte de l’interview :
Mathieu, du blog les Festins du quotidien
Bonjour, ravi de vous recevoir pour cette quatrième interview de mon blog qui s’appelle les festins du quotidien. Et donc aujourd’hui je suis à Limoges, au musée Adrien du Bouchet pour vous entretenir. Est ce que vous pouvez vous présenter rapidement, vous déjà votre rôle dans le musée ? Et puis, qu’est ce que c’est le musée Adrien Dubouché.
Célia BOUTIN, conférencière au musée Adrien Dubouché
Bonjour Mathieu. Je suis conférencière au musée national Adrien Dubouché qui est un musée de la céramique où en ce moment, nous présentons l’exposition “A table le repas tout un art” qui retrace l’histoire de la gastronomie française et des arts de la table depuis le XVIIᵉ siècle jusqu’à nos jours.
Mathieu
Je viens de faire la visite et c’est passionnant. Donc, les personnes qui seraient près de Limoges ou qui ont envie de venir à Limoges, je recommande de venir à cette exposition.
Si je me souviens bien, cette exposition a été montée en honneur d’un anniversaire.
Célia BOUTIN
À l’occasion des dix ans du classement du repas gastronomique à la française sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco.
C’était un moment très important pour la gastronomie française cette reconnaissance par l’Unesco ?
Elle est assez importante puisqu’on va reconnaître ce savoir-faire propre à la France. Je le dis propre à la France, même si d’autres pays ont aussi des gastronomies très importantes. Mais en France, on a un lien particulièrement important avec le moment du repas. D’ailleurs, si vous avez remarqué en France, quand on prend le repas, on parle de ce qu’on va manger au repas suivant et de ce qu’on a mangé avant. Donc c’est assez intéressant. Et surtout, ça permet de fixer et de transmettre un patrimoine et un savoir-faire. Et ce classement intervient justement notamment grâce à Auguste Escoffier qui a organisé le travail en cuisine, en brigade et qui a professionnalisé ce milieu. Ce qui fait qu’aujourd’hui, on peut classer ce repas sur la liste du patrimoine mondial culturel immatériel.
En quoi les arts de la table sont quelque chose d’important dans le cérémonial du repas français ?
Parce que ce cérémonial, il apparaît vraiment au XVIIᵉ siècle. C’est le moment du règne de Louis XIV. L’excellence à la française doit être une véritable vitrine de l’aristocratie aristocratie et de la grandeur de la France. Et donc, comment montrer la puissance, la grandeur, la richesse ? Et bien par ce qu’on va servir sur la table et surtout dans quoi on va le servir.
Il n’y a pas d’assiettes encore à ce moment là. Donc on sert dans quoi les aliments ?
Alors si au 17ᵉ siècle, il y a l’assiette puisqu’elle apparaît un petit peu avant la fin de la Renaissance. Là, on va trouver des assiettes, mais par contre, on ne sert pas dans l’assiette. On va servir tous les mets qui composent le repas dans des grands plats en commun qui peuvent être ou en métal ou en faïence, pas encore en porcelaine. On va poser ces plats de façon symétrique au centre de la table où les convives viendront se servir ou seront servis par des domestiques.
Est ce qu’on ne fait que manger à cette époque-là quand on est à table ?
On mange, oui. Il y a beaucoup de conventions. Il ne faut pas arriver en ayant faim ni sans avoir faim. C’est très compliqué, très codifié et surtout, on est là pour converser. Mais là aussi, il y a des règles puisque au début du repas, on doit être plutôt réservé, ne pas trop importuner ses voisins. Et plus le repas avance, plus les langues peuvent se délier. D’ailleurs, une fois que le dessert arrive, on a le droit de faire des blagues alors qu’avant le dessert, ce n’est pas permis.
L’alcool va aider à délier les langues ?
La consommation du vin et des différentes liqueurs va forcément participer à ce rythme-là. Il y a un peu moins d’étiquette en fin de repas,
Si on avance dans le temps, dans les siècles d’après, comment les arts de la table et comment le repas vont évoluer ?
Déjà les arts de la table sont toujours un instrument du pouvoir, quel que soit le régime politique. Mais le service va changer. Au XIXᵉ siècle, de ce service à la française qui consiste justement à poser tous les plats en même temps sur la table, on va passer au service à la russe, qui est un service qui vient d’Angleterre. C’est assez paradoxal. C’est le service à l’assiette qu’on connaît aujourd’hui dans les restaurants. On vous amène votre assiette déjà prête.
Pourquoi on l’appelle le service à la russe alors ?
Un service à la russe ? Ce n’est pas une invention qu’on a voulu. Un diplomate russe était en voyage en Angleterre, il était handicapé et ne pouvait pas se déplacer ni se servir, seul, des plats. On lui composait son assiette et on lui apportait à table tout le développement de ce genre de service.
C’est le service qu’on retrouve dans tous les restaurants et même parfois à la maison et parfois à la maison. Finalement, on voit des imbrications étroites entre, d’une part les arts de la table et d’autre part la gastronomie. Est ce que ça marche dans les deux sens ? Est ce que l’évolution de l’art, des arts de la table peut faire évoluer la gastronomie ? Et est ce que l’inverse existe ?
Oui, bien sûr, puisque le développement de certains plats ou l’utilisation de certains produits a conditionné le développement des objets. C’est le cas notamment pour les épices au Moyen Âge, puisque le développement de la consommation des épices va développer la production des boîtes à épices notamment, qu’on va servir sur les tables. C’est le cas encore aujourd’hui, notamment avec ce qu’on a vu dans l’exposition, comme la cloche à Champagne. Ainsi, la consommation du Champagne pendant le repas va conditionner aussi une nouvelle forme d’objets, puisque on a cherché à remplacer le seau à champagne par quelque chose de plus moderne. Une manufacture de Limoges, la Manufacture Cartier, a créé un objet conique qui est une cloche pour garder le champagne au frais.
Et on a vu une très belle assiette à risotto.
Oui, on a vu l’assiette à risotto de la manufacture Raynaud ou la cloche à tajine pour Thierry Marx de Jacques Perrier. De nombreux chefs se tournent vers les manufactures de Limoges pour se faire créer des services sur-mesure. Ou en tout cas complètement adaptés à leurs plats en porcelaine.
Et là, ça rend le cérémonial dans un restaurant encore plus fort ?
Il y a des créations vraiment originales qui répondent vraiment aux besoins d’un chef en particulier et qui vont venir justement sublimer le repas.
La belle porcelaine, est-elle réservée aux restaurants, aux endroits luxueux ? Ou est ce qu’on peut la trouver dans la table du quotidien ?
Cette porcelaine, au tout départ, quand elle apparaît en France au XVIIIᵉ siècle, est effectivement réservée à une élite sociale, les nobles, puis ensuite les bourgeois. Puis elle va se démocratiser peu à peu. Au XIXᵉ siècle, on pourra même la commander sur catalogue. Et aujourd’hui, elle, elle va venir dans d’autres sphères encore, puisqu’on la retrouve notamment dans la bistronomie et donc pas uniquement chez les grands chefs, mais également les chefs de bistronomie.
Si on parle du rayonnement de la France à l’international, est-ce que, justement, ces arts de la table ont permis à ce que la gastronomie française se diffuse à l’étranger ?
Oui, exactement, c’était d’ailleurs la volonté qu’avait eu Louis XIV. Ensuite, d’autres objets vont mettre en valeur la gastronomie et la grandeur de la France. Le savoir-faire gastronomique français va être valorisé à l’étranger, tant en ce qui concerne la nourriture elle-même que les objets. Et on le sait, puisque de nombreuses commandes à Limoges ou à Sèvres ou ailleurs vont intervenir de commanditaires étrangers. On sait par exemple que Catherine de Russie a commandé des services de porcelaine de Sèvres au XVIIIᵉ siècle. On sait aujourd’hui qu’on a un marché américain assez important et depuis quelques années, on a un marché nouveau qui est celui plutôt des Émirats-Arabes-Unis.
C’est une interview, ici, pour le blog Les Festins du quotidien. À titre personnel, comment est ce que vous faites chez vous pour faire de votre table un festin quotidien ?
Alors peut-être pas quotidien parce que je suis un petit peu fainéante, mais j’adore faire à manger. Et alors, comment je fais ? J’ai plein de porcelaine chez moi que je récupère à droite, à gauche, pour avoir une table un petit peu éclectique. Et puis j’essaie de faire quelque chose de joli et de beau. Joli sur la table et bon dans l’assiette !
Et ce qui est la notion de festin quotidien, c’est finalement le repas qui se partage, encore aujourd’hui ?
Oui exactement. Le moment qu’on peut appeler festin est le moment où va inviter d’autres personnes à partager le repas avec nous.
Et on a envie que ce soit une fête, une fête des sens. Et déjà, par la vue de la table, à la vue de ce qu’il y a dans l’assiette. C’est la fête avant même de commencer à manger. Sentez-vous qu’il y a une évolution de la société par rapport à ce moment de partage ?
Oui, justement, c’est le sujet de la fin de l’exposition puisque certains chercheurs, certains sociologues se demandent depuis quelques années ce qu’il va advenir de ce fait de manger ensemble, de ce partage, puisque la société se transforme. On n’a plus les mêmes habitudes qu’on avait au XIXᵉ ou au XXᵉ siècle et on se demande si demain nous mangerons encore ensemble, si nous prendrons encore le temps de partager ces moments là. Alors, il n’y a pas de réponse à cette question aujourd’hui, pas de réponse universelle. On a en plus été freiné dans notre partage et dans le fait de manger ensemble par cette pandémie mondiale depuis deux ans. On espère que ça commence à revenir. Mais certains créateurs ou certaines maisons de luxe, certaines manufactures ont créé justement des objets pour répondre à ces nouveaux besoins. Pour qu’on puisse continuer à manger ensemble sous une forme différente. Je pense notamment à la maison Christofle qui crée des pics à tapas maintenant en argent pour s’adapter à la coutume de l’apéritif dînatoire ou justement à la manufacture Haviland qui propose des services à la bistronomie. Et enfin, je pense à un service en porcelaine de Limoges, de la maison Non Sans Raison, qui est un service aimanté aux murs, qui crée une œuvre d’art hors des repas et un service de table pendant les repas.
Merci beaucoup Célia Boutin de nous avoir présenté l’art français de la table. Vous êtes conférencière au musée Adrien Dubouché et l’exposition sur les arts de la table dure jusqu’au 31 mai 2022.
Miam que c’est beau 🤩
Limoges, Limoges…
Super podcast, Célia Boutin est passionnante ! Dommage que je ne puisse pas me rendre à cette expo qui donne vraiment envie
merci Jenni pour ton commentaire !